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1871 La commune de Paris, chronique locale d'un drame national - 11 - L'engrenage infernal

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1871

11 L'engrenage infernal

 

Des élections qui mettent le feu aux poudres

 

Une forte abstention

Les élections parisiennes du 26 mars 1871 ont lieu par arrondissement, au scrutin de liste. 92 sièges sont à pourvoir, à raison d'un pour 20 000 habitants. 5 sièges sont réservés au 6ème arrondissement.

Contrairement à ce qu'on croit, l'abstention de masse n'est pas un phénomène récent. Elle est apparue dès le premier référendum de notre histoire, celui qui en 1793 a approuvé la Constitution de l'an I, où elle a atteint 60%. Le 26 mars 1871, à peine 48% des électeurs parisiens se sont déplacés, à peu près autant que lors des scrutins précédents des 5 et 7 novembre. D'une manière générale, on a moins voté dans les quartiers bourgeois que dans les arrondissements ouvriers de l'est parisien. Deux raisons à cela. D'une part, à partir de la levée du blocus de Paris et au fur et à mesure que l'agitation croissait, les membres des milieux aisés qui avaient réussi à envoyer leur famille en province avant le début du siège se sont empressés d'aller les rejoindre, et les familles qui n'avaient pas pu se mettre à l'abri à temps n'ont eu de cesse de quitter la capitale dès que cela a été possible. Une partie des électeurs des quartiers bourgeois ne se trouvait donc plus à Paris le 26 mars. Et ceux qui sont restés n'ont sans doute pas trouvé dans les listes de candidatures celles qui correspondaient à leurs idées et ont préféré s'abstenir.

 

Une municipalité renouvelée

Le cas du 6ème arrondissement illustre bien ce phénomène. On y retrouve comme candidats les sortants, Hérisson, Jozon, Le Roy et Lauth, et plusieurs de leurs compétiteurs malchanceux de novembre 1870, Varlin, Goupil et Robinet. S'y ajoutent de nouveaux venus, qui ne sont pas pour autant des inconnus : le peintre Gustave Courbet, déjà très célèbre, ou l'ingénieur socialiste proudhonien Charles Beslay, délégué du 6ème arrondissement au Comité central républicain des vingt arrondissements depuis septembre 1870. On trouve aussi Émile Lacord, cuisinier, demeurant 20 rue Serpente, signataire de l'Affiche rouge du 6 janvier, et Henri Chouteau, peintre en bâtiment, demeurant 8 rue Guénégaud, blanquiste et membre de l'A.I.T. (Association internationale des travailleurs).

Le taux d'abstention est particulièrement élevé : 62%. Les électeurs qui se déplacent penchent comme ailleurs vers les personnalités les plus engagées dans la contestation. Pour les représenter à l'Hôtel-de-Ville, ils choisissent un des sortants, le professeur de lettres Albert Le Roy, trois des « recalés » du mois de novembre, dont nous avons déjà fait la connaissance (voir chronique n°6), le médecin et ancien maire-adjoint Eugène Robinet, le médecin Edmond Goupil et le relieur Eugène Varlin (ce dernier également élu dans le 12ème et le 17ème, le système électoral rendant possible les élections multiples, jusqu'à ce que l'intéressé opte pour l'un des sièges), et un nouveau venu, l'ingénieur breton Charles Beslay, de tendance socialiste proudhonien, membre de l'Association internationale des travailleurs.

Né en 1795 Beslay sera le doyen des membres de la Commune et, en dépit de ses convictions affirmées, s'opposera aux mesures extrêmes qui ne vont pas tarder à être proposées, notamment quand il s'agira de constituer un Comité de salut public. Sa formation d'ingénieur et son intérêt pour les innovations industrielles l'avaient conduit à construire une usine de machine à vapeur dans le quartier Popincourt (actuel 11ème arrondissement), puis à se lancer, sans grand succès, dans la banque, enfin à demander et obtenir au début du Second Empire la concession de deux lignes de chemin de fer en Suisse. Ces expériences variées lui valent d'être nommé membre de la Commission des finances de la Commune.

 

La Commune en action

 

Minoritaires mais actifs

Déserté par une partie de ses habitants bourgeois, le 6ème arrondissement participe aux audacieuses initiatives nées de l'idéologie communarde, où les femmes jouent un rôle important. Citons-en quelques-unes.

Début avril se crée l'Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, composée de sections d'arrondissement. À la tête de celle du 6ème, on trouve une bretonne de 45 ans, mariée à un ouvrier relieur et relieuse elle-même, Nathalie Lemel. De longue date compagne de lutte d'Eugène Varlin, elle va devenir l'une des principales figures de cette Union. Courageuse, elle paiera de sa personne lors des combats sanglants à venir, tout en s'y dévouant au service des blessés.

Comme pendant la Révolution de 1789, la période voit l'éclosion de nombreux clubs où l'on débat avec passion. Les réunions se tiennent généralement dans les églises, qui retrouvent de ce fait leur ambivalence des années 1790, lieux de culte le matin, lieux de débats politiques le reste du temps. Comme il flotte au dessus de tout cela un fort relent d'anticléricalisme, on baptise les clubs du nom de l'église qui les héberge, amputé du mot saint. Le club du 6ème s'appelle donc Sulpice. Une antenne se réunit à l'École de médecine.

 

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Une réunion d’un club de l’Union des Femmes dans une église. Gravure Coll. C. Chevalier L’affiche de l’Appel aux ouvrières, signée en première ligne par Nathalie LE MEL. Parismuséescollection.

 

On y voit souvent Nathalie Lemel.

Comme sous la Révolution, le désordre et les excès s'invitent souvent à ces réunions. À Saint-Sulpice, par exemple, un orateur proclame un jour son athéisme en termes violents, défiant Dieu et l'invitant, s'il existe, à descendre sur l'autel, auquel cas il lui plongera son poignard dans le cœur. À Saint-Sulpice encore, début mai, une jeune fille appelle les femmes « à s'emparer de tous les curés et à leur brûler la gueule. À mort ! À mort ! ». À Saint-Sulpice toujours, le 17 mai, Louise Michel, face à l'assaut imminent des Versaillais, tente de motiver son auditoire : « Du courage, citoyens ! De l'énergie, citoyennes ! Paris sera à nous ou Paris n'existera plus ! ». Et le 21 mai, on y vote une motion appelant à incendier tous les monuments de la ville au cas où l'armée de Versailles franchirait l'enceinte fortifiée. On sait que cet appel ne sera que trop entendu …

 

Portrait de Louise Michel, 1870. Photographie d'Ernest Charles Eugène Appert (1830-1890). Paris, musée Carnavalet.
Louise Michel, Photo Parismuséescollections

 

Tous pourtant ne sont pas sur la même ligne. Très tôt se dessine une facture entre ceux, majoritaires, qui ne pensent qu'à la recherche de la victoire par la lutte armée et au prix de restrictions aux libertés publiques et individuelles, et la minorité, qui donne la priorité à la mise en œuvre du programme de réformes politiques, sociales et économiques sur lequel ont été élus les membres de la Commune. Le 15 mai, ces derniers, au nombre de vingt-deux, se mettent en retrait de l'assemblée communale. Parmi eux, Charles Beslay et Eugène Varlin. Une réconciliation de façade s'opère le lendemain, mais il est trop tard, les Versaillais ont commencé leur mouvement d'encerclement.

 

Touchez pas au grisbi !

Dans ce climat exacerbé, il arrive que certains gardent le sens de l'intérêt général.

Au printemps 1871, la Banque de France se trouve en position délicate. Son gouverneur, Gustave Rouland, s'est replié le 23 mars auprès du gouvernement à Versailles, laissant l'établissement parisien aux bons soins du second sous-gouverneur, le marquis Alexandre-Marie-Sébastien de Plœuc, breton natif de Quimper. De son côté la Commune y installe un commissaire délégué, Charles Beslay, l'élu du 6ème arrondissement, breton lui aussi, natif de Dinan. Ils se sont déjà croisés pendant le siège, œuvrant tous deux au sein d'un Comité d'aide aux mobilisés de la Vieille Armorique stationnés dans la capitale, comité où l’on parle peu ou pas du tout le français. Ils se côtoient à nouveau, et de près, puisque Beslay occupe depuis le 30 mars un bureau voisin de celui du marquis.

La Commune, qui a besoin d'argent, fait pression sur la Banque pour se faire ouvrir les coffres. On peut craindre un conflit frontal. C'est le contraire qui se produit. Contre toute attente, les deux hommes, qu'a priori tout sépare, naissance et opinions, s'apprécient d'emblée. On trouve un compromis. La Ville de Paris dispose d'un important solde créditeur à la Banque. Beslay suggère à Thiers, qui accepte, de tirer sur ce crédit sous la forme d'avances remboursables. Chacun y trouve son compte. Sauf les extrémistes de la Commune, qui voudraient une mainmise complète sur l'établissement : le 12 mai, ils envoient un bataillon de Fédérés envahir les bâtiments, sous le prétexte qu'il abriterait un dépôt d'armes. Mais Beslay applique loyalement l'accord passé avec Plœuc et réussit à chasser les intrus. La Banque de France et ses avoirs sont sauvés. Thiers saura se souvenir de cet épisode : quand viendra, quelques semaines plus tard, l'heure des sanglants règlements de compte, Beslay échappera à la répression, grâce à un laisser-passer du gouvernement qui lui permettra de se réfugier à Neuchâtel, en Suisse, où, nous l'avons vu, il avait des intérêts.

 

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Médaille de la Commune :
LE CITOYEN BESLAY MEMBRE DE LA MIN.TÉ DE LA COMMUNE A SAUVÉ LA BANQUE DE FRANCE DE LA DESTRUCTION JOURNÉES DES 23 ET 24 MAI 1871. Parismuséescollections

 

Autre administration sensible, la Monnaie. C'est dans ses ateliers du quai de Conti que depuis 1775 sont frappées, entre autres, les pièces de monnaie. Son directeur est alors le baron Alfred Renouard de Bussière. Le 21 mars, deux jours avant son alter ego de la Banque de France, il suit le gouvernement à Versailles. La municipalité issue des urnes le 26 mars nomme à la tête de l'établissement un ouvrier bronzier qui s'est fait remarquer tant par ses qualités professionnelles (il a travaillé pendant plusieurs années sur le chantier du nouvel opéra voulu par Napoléon III) que par son engagement dans le mouvement syndical, Zéphirin Camélinat. Pendant le siège il a fait partie du Comité central des vingt arrondissements de Paris et est membre du conseil fédéral parisien de l'Association Internationale du Travail (A.I.T.). À ce poste il se montre lui aussi d'une grande modération. Il se contente de faire frapper des pièces en argent de 5 francs, pour une valeur totale de 2 400 000 francs, une moitié avec le métal prélevé sur les stocks de la Banque de France avec l'autorisation de Beslay, l'autre à partir de la fonte de l'orfèvrerie saisie dans les anciens palais impériaux. À son retour le baron de Bussière n'aura aucune malversation à déplorer.

 

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Alfred Renouard de Bussière, Commons-wikimedia. Zéphirin Camélinat, carte commémorative du Parti communiste français, 1932. Creative commons.

 

Les artistes et l'enseignement

De tous temps les révolutions se sont intéressées à l'art et aux artistes, pour les soutenir ou pour les museler, et toujours pour tenter de s'en servir à leur profit. Le peintre Gustave Courbet met sa notoriété au service de la cause de la Commune. Dès le 14 avril, à son initiative, 400 artistes se réunissent à l'École de médecine et fondent une Fédération des artistes dirigée par un comité élu de 47 membres représentant toutes les disciplines de ce qu'il était convenu d'appeler les beaux-arts. On trouve au comité des noms comme les peintres Corot, Millet, Manet, Daumier et bien sûr Courbet, le sculpteur Dalou, l'architecte Boileau fils, futur architecte avec Henri Tauzun de l'hôtel Lutetia, ou le graveur lithographe André Gill (celui du fameux Lapin Agile), nommé peu après conservateur du musée du Luxembourg. Pour se libérer d'un enseignement académique jugé inégalitaire, le comité propose la suppression des budgets de l'École des Beaux-Arts et de la section des Beaux-Arts de l'Institut. Le temps manquera pour passer à l'acte.

 

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Gustave Courbet, gravure C. Chevalier. Sa carte de la Fédération des artistes. Image Butot, Parismuséescollections.

 

La Commune ne pourra pas non plus donner suite à ses projets de réforme radicale de l'enseignement. Une commission de l'enseignement est créée dans ce but, où siègent nombre d'élus du 6ème arrondissement, Robinet, Goupil ou Le Roy. Mais, avec nombre de leurs collègues, ils font bientôt figure de modérés. Une seconde commission est constituée, nettement plus offensive. Une initiative est lancée dans le 6ème arrondissement. Au 7 de la rue Dupuytren (alors rue Turenne-Saint-Germain) se trouvait une ancienne école de dessin, fondée au début du Ier Empire sous le nom d’École impériale gratuite de dessin pour jeunes filles. Elle poursuivit son activité ensuite sous diverses appellations. Rosa Bonheur la dirigea une dizaine d'années au début du Second Empire. L'Almanach impérial de l'année 1865 en fait mention comme École spéciale de dessin pour les jeunes personnes, dirigée par Nelly Marandon de Montyel. Fermée pendant le siège, un décret du 12 mai 1871, signé par le délégué de la Commune à l'enseignement, Édouard Vaillant, la transforme en École professionnelle d'art industriel pour jeunes filles. Au programme, « le dessin, le modelage, la sculpture sur bois et sur ivoire et, en général, les applications de l’art du dessin à l’industrie ». L'affiche qui a été imprimée à cette occasion illustre l'idéal éducatif de la Commune, en précisant que « des cours destinés à compléter l'instruction scientifique et littéraire des élèves seront tenus concurremment avec ces cours pratiques ». L'ancêtre des lycées professionnels d'aujourd'hui, en quelque sorte. Les événements mettront fin à l'expérience au bout de seulement quelques jours.

 

(À suivre)

Jean-Pierre Duquesne

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