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SOCIETE HISTORIQUE DU VIe ARRONDISSEMENT

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NECROLOGIE DES ANCIENS MEMBRES

NECROLOGIE DES ANCIENS MEMBRES DE LA SOCIETE HISTORIQUE DU VIe

  • Pierre Récamier  1917-2011
  • Jacques Friedel  1921-2014
  • Philippe Tarneaud  1918-2012

Pierre Récamier  1917-2011

Le 24 novembre 2011 disparaissait Pierre Marc Récamier, une des éminentes personnalités de notre arrondissement. Il en fut le maire de 1970 à 1977, il fut aussi le président de notre Société historique du VIe arrondissement pendant la même période.

Né le 2 mars 1917 rue du Regard, dans l’ancien hôtel de Verrue devenu demeure familiale en 1817, Pierre Récamier est le fils de Joseph Récamier, avocat et assureur, et de Léonie Charveriat, d’une famille de notaires lyonnais.

La famille Récamier, établie depuis longtemps dans le VIe arrondissement, est une famille de notables parisiens, profondément catholique et active dans toutes les œuvres d’assistance et d’aide à autrui. Pierre Récamier compte parmi ses ancêtres des magistrats, des notaires et des chirurgiens, dont on peut évoquer quelques figures : son grand-père, Joseph (1861-1935), chirurgien et l’un des fondateurs de l’hôpital Saint-Michel , fut l’ami personnel du duc d’Orléans qu’il accompagna entre 1905 et 1909 dans ses expéditions polaires arctiques à bord du Belgica ; son arrière-grand-père Étienne (1834-1893), avocat, conseil juridique, très engagé dans les œuvres catholiques, décéda au cours d’un pèlerinage à Jérusalem, tandis que son arrière-grand-oncle, le général Maximilien Récamier, qui avait participé à l’expédition du Mexique de 1861 à 1867 comme officier d’ordonnance et secrétaire particulier de l’empereur Maximilien, était au siège de Paris en 1870. Quant à son bisaïeul, Joseph Récamier (1774-1852), médecin à l’Hôtel- Dieu de Paris en 1799, professeur au Collège de France, membre de l’académie de Médecine, il était le cousin de la célèbre Juliette Récamier.

La vie de Pierre Récamier s’inscrit dans la tradition familiale : homme d’action, attentif aux autres, notamment aux plus démunis. Sa parole était calme et mesurée, il était réfléchi, cordial et bienveillant. L’homme, physiquement, était très brun, plutôt petit et trapu. Il a laissé un livre de souvenir, Rêves… et souvenirs maritimes .

Pierre Récamier, comme plusieurs membres de sa famille, fait ses études primaires chez les frères des Écoles chrétiennes de la rue de Grenelle et ses études secondaires au collège Stanislas. Sportif et scout, il apprend la vie en équipe, la compréhension et le respect des autres, il se forme à entraîner et à commander. Il passe ses vacances en partie au château de Varennes dans le Beaujolais chez ses grands-parents paternels, en partie à Saint-Pair-sur-Mer, port de pêche non loin de Granville puis à Loctudy. Mais, ce sont les récits des expéditions polaires de son grand-père , dans le bureau musée qu’il s’est aménagé rue du Regard, qui le font rêver. Il est orienté par le commandant Charcot, ami de son grand père, vers la carrière de capitaine au long cours. Il entre à l’école de la Marine marchande du Havre en 1935 et en sort en 1937 avec le brevet de capitaine au long cours. Il commence une carrière civile et navigue comme lieutenant dans la compagnie Dreyfus. Elève-officier de réserve, puis aspirant de réserve en 1939, il est mobilisé au début de la guerre.

Embarqué sur le croiseur Montcalm, comme enseigne de vaisseau de 2e classe, il prend part à la campagne de Norvège (9 avril-10 juin 1940), et notamment au périlleux rembarquement du corps expéditionnaire à Namsos au moment dramatique de la débâcle. Démobilisé à Toulon en août 1940, il reprend son service à la compagnie Dreyfus, embarqué sur le Jean L. D., comme lieutenant au long cours. Le 16 février 1941, il est arraisonné par la Royal Navy au sud du Cap de Bonne Espérance. Il rallie les Forces navales de la France libre au Cap (1er mars 1941). Embarqué sur l’aviso Commandant Duboc il participe à la campagne d’Erythrée. Promu enseigne de vaisseau de 2e classe, il embarque comme officier en second sur la corvette D’Estienne d’Orves de mars 1942 à mars 1944 et participe à la bataille de l’Atlantique assurant de nombreuses patrouilles et missions d’escorte de convoi de navires marchands et de chasse de sous-marins allemands en Manche et mer du Nord. Il se retrouve commandant le Chasseur 14 Dielette de mars 1944 à mai 1945 et participe aux opérations du débarquement en Normandie.

Il est titularisé comme officier de marine d’active. À la fin des hostilités, il fait campagne à bord du croiseur léger le Triomphant, de mai 1945 à juin 1946, année passionnante et dangereuse en Indochine où l’insurrection Viet Minh a débuté. Il manifeste un grand courage, un esprit de décision. Il participe, comme officier fusilier, avec une section de la compagnie de débarquement à la protection des populations autour de Saigon et de Nha-Trang. Comme officier de manœuvre, il est blessé le 6 mars 1946 sur la passerelle du Triomphant lors d’opérations de débarquement à Haiphong. Il est alors affecté au Centre de formation maritime de Pont-Réan près de Rennes. Il est promu lieutenant de vaisseau, et quitte le service actif le 22 octobre 1947. Il obtiendra plus tard le grade de capitaine de corvette de réserve. La fraternité d’armes de cette période exaltante ont marqué toute sa vie et le conduiront à être l’un des fondateurs du Comité d’entente des anciens combattants du VIe qui regroupe les associations d’anciens combattants du VIe, jusque là dispersées, et à soutenir l’action du général de Gaulle dès son retour au pouvoir .

En 1947, la paix revenue, il quitte la Marine nationale et retourne à la marine marchande comme capitaine pilote au canal de Suez où il retrouve des camarades des Forces françaises libres. Il y restera de 1947 à 1956. C’est une fonction très recherchée, réservée à des capitaines au long cours expérimentés au terme d’une sévère sélection. Il avait épousé, le 16 novembre 1946 à Lyon, Mademoiselle Paule Vincent, infirmière major dans l’armée du général de Lattre de Tassigny, qu’il avait rencontrée avant la guerre. Ils résident à Ismaïlia où naissent trois de leurs quatre enfants. Il est élu vice-président de la Société des capitaines pilotes du canal de Suez. Après la brutale nationalisation du canal de Suez par Nasser en juillet 1956, il est maintenu en poste comme tout le personnel par la compagnie du canal. La situation se dégradant et des menaces de guerre se précisant, la compagnie rapatrie précipitamment en France tout le personnel non égyptien en septembre 1956. Il doit tout abandonner sur place. Ainsi s’achève le moment le plus heureux de sa vie, l’époque de la maturité et de l’épanouissement. Le canal est saboté par les Égyptiens le mois suivant et les troupes franco-anglaises débarquent à Suez début novembre.

Cette page tournée, de retour à Paris, il entre dans la société Radio-Océan qui vend du matériel de détection de bancs de poissons aux bateaux de pèche. Il y reste de 1956 à 1961 comme attaché de direction puis fondé de pouvoirs. Il entre alors à l’Association technique de la sidérurgie où il termine sa carrière comme chef du service organisation économie informatique en 1979. Parallèlement, il suit les cours du soir au Conservatoire national des arts et métiers et obtient en 1967 le diplôme d’études supérieures économiques.

En 1968, bouleversé par le désordre qui secoue autant le VIe que le Ve arrondissement, il s’engage en politique dans l’esprit de servir son pays. Il est le délégué des comités de défense de la République (CDR) du VIe. Il s’est lié d’amitié avec les élus gaullistes de l’arrondissement dès 1958, notamment avec Pierre Bas , François Collet et Raymond Dohet . Il travaille avec eux au conseil de Paris où, élu en 1977, selon le nouveau statut de Paris, il siège de 1977 à 1983, au groupe Union pour Paris et s’y occupe d’action sociale, dans l’association Favoriser et organiser les soins et l’aide à domicile (FOSAD).

En octobre 1970, Pierre Récamier est nommé maire du VIe arrondissement, en remplacement du Docteur Édouard Delavenne avec lequel il a déjà travaillé avec les anciens combattants et dans les œuvres sociales. Un des maires adjoint, Pierre Viennot, est un ancien déporté et collaborateur du doyen Zamanski. Pour le VIe, c’était une période de crise car l’arrondissement subissait un important déclin démographique. Ainsi, de 1962 à 1968, il avait perdu 9 600 habitants, soit près de 12% de sa population, passant de 80 320 habitants à 70 744. Le vieillissement de la population était supérieur à la moyenne nationale, ce qui n’allait pas sans bouleversements économiques et sociaux.

Rappelons qu’à cette époque, avant le nouveau statut de Paris créé par la loi du 31 décembre 1975, les mairies d’arrondissement n’étaient pas dirigées par des élus, mais par des personnalités nommées. Le maire d’arrondissement, outre des services généraux, éducatifs et sociaux, déconcentrés de la ville ou du département de Paris , était président de droit des nombreuses associations, souvent d’ailleurs créées à l’initiative de l’administration comme un prolongement de son action.

Pierre Récamier met ses qualités humaines, son énergie, son dynamisme et son inventivité au service de tous. Pierre Récamier s’investit totalement dans l’action sociale assisté de son épouse qui, pendant trente-cinq ans, assure toutes les semaines le service des repas de la Soupe populaire du. VIe arrondissement. Maire, il est de facto président du patronage laïc municipal, de l’union commerciale d’action sociale pour les œuvres municipales (UCASOM), du comité de l’enfance, du comité d’hygiène sociale et de préservation antituberculeuse, de la fondation Lambrecht, de l’office municipal des sports... ainsi que de notre Société historique. Il redynamise les associations culturelles et sociales existantes et sait mobiliser un bataillon de bénévoles pour les animer. Mais il ne me revient pas de retracer ici toute son œuvre culturelle et sociale qui fut considérable.

Pour ce qui concerne la Société historique du VIe arrondissement, créée en 1898, Pierre Récamier devient donc de droit son président de 1970 à 1977. Bien qu’il se sente moins porté par son objet que par celui d’autres associations, il en prend la barre et lui donne une impulsion nouvelle et décisive. Depuis la guerre, celle-ci, qui avait été très active auparavant, avait repris progressivement ses activités. Il en renouvelle les instances dirigeantes lors de l’assemblée générale du 11 février 1972, des postes du bureau sont confiés à de nouveaux responsables. Il souhaite l’élection d’un bibliothécaire archiviste pour mettre en ordre et inventorier la bibliothèque et les archives. En mars 1972, conscient de ses responsabilités et désireux de les assurer sérieusement et avec efficacité, surchargé qu’il est par la présidence des très nombreux autres organismes de l’arrondissement, il délègue Jacqueline Ouy, nouvellement nommée maire adjoint, pour suivre désormais en son nom les travaux et l’activité de la société. Pierre Gendrel, secrétaire général de 1966 à 1974, note, lors de l’assemblée générale du 16 mars 1973, un certain regain d’activité de la société Dès le 28 janvier 1974, Pierre Récamier, dans une lettre citée par Geneviève Gille, établit le diagnostic suivant : « Depuis la mort de Georges Huard [vice-président de 1930 à 1962], cette association a du mal à poursuivre ses activités, la charge de son animation, retombant entièrement sur son vice-président Fernand Le Pelletier » [1962 à 1974].

Pierre Récamier définit de nouvelles lignes d’action pour recruter de nouveaux membres et pour veiller plus activement à la conservation du patrimoine artistique et historique de l’arrondissement : « C’est pourquoi je lance un appel à tous ceux qui s’intéressent à notre histoire locale, et particulièrement aux archivistes paléographes qui ont été longtemps les animateurs de la société et les garants de la qualité de ses activités » . L’assemblée générale du 22 février 1974, tenue au restaurant Le Savoyard, élisait Geneviève Gille et Pierre Gendrel vice-présidents, faisait le point sur les bonnes volontés et nommait un jeune conservateur, Jean-Marc Léri, tout juste sorti de l’École des chartes.. L’année suivante, Jacqueline Ouy , déléguée du maire, remplaçait Pierre Gendrel comme vice-présidente élue.

Ainsi nous devons à Pierre Récamier la renaissance de notre société historique après la guerre, lui qui avait écrit : « la décision de poursuivre ou d’arrêter nos activités dépendra de l’intérêt que vous lui portez » ; grâce à son action volontariste, la Société put repartir avec cinquante et un adhérents . Son action fut également déterminante pour la reprise de la publication imprimée du Bulletin interrompue par la guerre avec le numéro de 1938 et remplacé depuis 1950 par une feuille trimestrielle multigraphiée recto-verso, contenant le procès-verbal des séances et le programme du trimestre.. Le premier numéro de la nouvelle série paraît en 1975, il publie les résumés des conférences prononcées au cours des années 1974 et 1975.

Progressivement, les conférenciers se mirent à traiter essentiellement de sujets ayant trait à l’histoire du VIe arrondissement. Des expositions furent organisées dans les salles de la mairie. En effet, l’activité culturelle est une tradition ancienne de la mairie du VIe, celle-ci s’est accrue au fil des années grâce à la création d’un service spécialisé, aux manifestations duquel notre société a toujours apporté son concours.

Il faut enfin noter que le souhait de Pierre Récamier de modifier les statuts afin de dissocier les fonctions de maire d’arrondissement et de président de la Société sera réalisé après sa mandature : en 1977, la réforme aboutit et le premier président élu sera le célèbre critique et historien d’art Yvan Christ.

La Nation a reconnu les actions et les mérites de Pierre Récamier. Il était commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, croix de guerre (1939-1945) avec cinq citations, croix de guerre norvégienne (1940) et médaillé de la France-Libre.

Bruno Delmas
Président de la Société historique du VIe arrondissement


Jacques Friedel  1921-2014

Le 27 août 2014 disparaissait à Paris un de nos plus anciens sociétaires. Jacques Friedel était l'arrière-petit-fils de Charles Friedel minéralogiste et chimiste, le petit-fils de Georges Friedel minéralogiste et d’Hélène Berger-Levrault, le fils d’Edmond Friedel, minéralogiste et éditeur. Il est le père du docteur Jean Friedel et de Paul Friedel, ingénieur et directeur de société.

Né le 11 février 1921 dans le VIe arrondissement, 6 rue Herschel, petite rue à deux pas du jardin du Luxembourg entre l'avenue de l'Observatoire et le boulevard Saint-Michel, il passe son enfance dans plusieurs villes au gré des affectations de son père et fait ses études primaires et secondaires au lycée Fustel-de-Coulanges à Strasbourg, au collège de Béthune, aux lycées Louis-le-Grand et Henri-IV à Paris, Michel-de-Montaigne à Bordeaux et du Parc à Lyon. Quand son père revient à Paris, il a seize ans. Il retrouve le VIe puisque son père est nommé sous-directeur de l'École supérieure des mines de Paris en 1937 et y habite un appartement de fonction.

Issu d'une longue lignée de polytechniciens ingénieurs des mines et savants, il poursuit la tradition familiale en entrant à l’École polytechnique en 1944, puis à l’École nationale supérieure des mines de Paris de 1946 à 1948. Devenu ingénieur des mines, il est affecté à la recherche au Laboratoire de métallurgie de l'École nationale supérieure des Mines de Paris. - 1948 Licencié ès sciences (Paris).

En 1949, il part trois ans en Grande-Bretagne pour étudier la structure électronique des métaux dans le laboratoire du spécialiste mondial de la question, Neville Mott, à Bristol (Pays de Galles). Il devient Doctor of philosophy (Ph. D) de l’université de Bristol, et épouse Mary Winifred Horder, belle-sœur de Mott, fille d'un quantity surveyor, sorte d'expert-métreur assistant les architectes et petite-fille de pasteur. Il est séduit par la personnalité non conformiste de Mary : ayant dû renoncer à une carrière de sculpteur pour des raisons de santé, elle emploie ses goûts artistiques à fabriquer de petits jouets en bois. Il découvre alors l’univers des arts. De retour à Paris en 1952, les Friedel s'installent dans le VIe arrondissement, 2 rue Jean-François-Gerbillon et en 1954, il est docteur ès-sciences physiques.

Jacques Friedel est nommé à la faculté des sciences de l’université de Paris en 1956. Il devient professeur à la faculté des sciences d’Orsay en 1960 puis, après la réforme universitaire de 1968, à l’université de Paris-Sud. Il mène une brillante carrière de chercheur et de professeur dans le domaine de la physique des solides. Élu à l'Académie des sciences en 1977, il la préside de 1993 à 1994. Il est membre de plusieurs académies étrangères : American Academy of Arts and Sciences, American Physical Society, Royal Society de Londres, Institute of Physics de Londres, Académie royale des sciences de Suède, Académie allemande des sciences Leopoldina, Académie des sciences du Brésil, Académie royale des sciences de Belgique. En 2013, il est élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur.

Ce parcours exceptionnel a naturellement fait l'objet de nombreuses notices très documentées, mais il convient ici de rappeler comment les Friedel, famille protestante d’origine alsacienne, sont unis par des liens étroits et nombreux au VIe arrondissement. Nous n’évoquerons ici que les ascendants directs de Jacques Friedel.

Charles Friedel (1832-1899), né à Strasbourg en 1832 épouse en 1856 Emilie Koechlin. Il est docteur ès sciences en 1869, et maître de conférences à l’École normale de 1871 à 1876. En 1876, il devient conservateur des collections de l'École des mines de Paris et professeur de minéralogie, puis en 1884 de chimie organique à la faculté des sciences de Paris, il est l’un des premiers partisans français de la théorie atomique. Élu le 1er juillet 1878 à l'Académie des sciences, dans la section de chimie, il succède à Victor Regnault. Après avoir habité un logement de fonction à l'École des mines de 1856 à 1880, il le quitte pour s'installer, à quelques dizaines de mètres, au 9 rue Michelet. Après la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871, soucieux d'aider ses malheureux compatriotes alsaciens contraints de quitter leur terre natale, Charles Friedel participe en 1874 à la création de l'École alsacienne, entrant à son conseil d'administration et louant, pour lui permettre de commencer à fonctionner, un petit local rue des Ecoles dans le Ve arrondissement, avant qu'elle ne s'installe rue Notre-Dame-des-Champs dans le VIe. Une rue du XXe arrondissement porte son nom.

Georges Friedel (1865-1933), son fils, est né à Mulhouse, en 1873, il est élève à l’École alsacienne. En 1883, il suit les traces de son père en entrant à l’École polytechnique et suit les cours de l'École des mines de Paris. Ingénieur ordinaire des mines chargé du sous-arrondissement de Moulins (1891), il crée un petit laboratoire et opte pour la recherche. Il enseigne la physique, la minéralogie et la géologie à l'École des mines de Saint-Étienne dont il est directeur en 1907. Il est affecté de 1914 à 1917 à la Manufacture du Creusot. En 1919, après le rattachement de l’Alsace et de la Lorraine, il prend la direction du laboratoire de minéralogie de la faculté des sciences de Strasbourg et participe à la création de l’Institut du pétrole. Spécialiste des cristaux liquides, il a été correspondant de l'Académie des sciences dans la section de minéralogie.

Le 8 octobre 1887, Georges Friedel épouse Hélène Berger-Levrault, l'une des filles de l'imprimeur-libraire alsacien Oscar Berger-Levrault (1826-1903). Les Levrault s'étaient installés comme imprimeurs à Strasbourg dès le XVIIIe siècle. Oscar ouvre en 1855 une annexe à Paris, 8 rue des Saints-Pères. L'issue tragique de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 a des conséquences lourdes pour l'entreprise, qui se transforme en 1871 en société en commandite par actions, Berger-Levrault et Cie, quitte Strasbourg pour Nancy et, tout en conservant la librairie de la rue des Saints-Pères, fonde une nouvelle imprimerie tout à côté, 5 rue des Beaux-Arts. En 1910, la société abandonne le statut de commandite pour celui de société anonyme : Georges Friedel en est administrateur de 1910 à 1933, président du conseil d'administration de 1913 à sa mort en 1933. La présidence reste dans la famille Friedel. Marc Friedel reste président de l’entreprise jusqu’en 1999. Puis elle se spécialise dans le marché des logiciels de gestion pour les collectivités locales : le Groupe Berger-Levrault sort des métiers de l’imprimerie.

Edmond Friedel (1895-1963), né à Nancy, entre major à l’École polytechnique en 1914, il fait toute la guerre dans l’aviation comme observateur puis comme pilote. Dès la fin des hostilités, il retourne à l’École polytechnique, en sort major puis sort également premier de l’École des mines en 1922. Il est ingénieur au corps des mines et licencié ès-sciences. D’abord ingénieur des mines à Strasbourg de 1922 à 1933, il y retrouve son père et entreprend des recherches sur les états mésomorphes de la matière. Il est affecté à Metz et à Arras de 1933 à 1936 à une époque économiquement et socialement difficile. Il succède à son père à l’Institut du pétrole de Strasbourg et dresse la carte géologique de la Sarre. En 1937, il est nommé sous-directeur de l'École supérieure des mines de Paris, et assume la charge annexe des cours de cristallographie, minéralogie et pétrographie. Il y bénéficie d’un appartement de fonction de 1937 à 1963. En 1939, il crée un centre de recherches métallurgiques.

Dès le début des hostilités, il est nommé à la tête de l'arrondissement minéralogique du Nord et du Pas-de-Calais où il participe à la mobilisation industrielle. Lors de la débâcle, il assure l’évacuation des populations minières. Resté à son poste, il est incarcéré à Loos par l’occupant, mais libéré à la demande du gouvernement français. Il retrouve son poste à l’École des mines, et crée en 1941 le Bureau de recherches géologiques et géophysiques, ancêtre du BRGM, destiné à cartographier le sous-sol de la France. Dans le même temps, il couvre l’installation d’un poste d’écoute branché sur les services de la Luftwaffe.

A la Libération, il est nommé directeur de l’École de 1944 à 1963. De 1964 à 1969, il est administrateur des charbonnages de France, président de la société chérifienne des pétroles, président de la commission des mines du Plan de 1952 à 1965 (2e, 3e et 4e plans) et, en 1961, vice-président du Conseil général des mines jusqu’en 1966. Il est grand officier de la Légion d’honneur.

La Société historique tenait à évoquer quelques-uns des membres de cette grande famille protestante, qui a illustré depuis cent cinquante ans la science et l’édition dans le VIe arrondissement.

Bruno Delmas


Philippe Tarneaud  1918 - 2012

Nous avons appris avec tristesse le décès, le 14 juin 2012 en son domicile parisien, de notre ancien trésorier, Philippe Tarneaud.

Né le 13 septembre 1918 à Verneuil-sur-Vienne, Philippe Tarneaud était le second fils des cinq enfants d’Adrien Tarneaud, président de la Banque Tarneaud, fondée en 1809, et d’Andrée Haviland de la célèbre famille des porcelainiers de Limoges. Il avait commencé ses études comme pensionnaire au collège diocésain Saint-Paul d’Angoulême, qui avait une solide réputation dans la région, et que fréquentèrent à la même époque François Mitterrand et ses frères. Il poursuit ses études secondaires à Limoges au lycée Montalembert, puis à Paris au Collège Stanislas. Il entre à l’Institut d’études politiques et à la faculté de droit de Paris. Ses études à peine commencées sont interrompues par la guerre.

Mobilisé en 1939, Philippe Tarneaud qui n’a pas fait de préparation militaire est envoyé à Rennes dans le 90e régiment d'infanterie, puis gagne Angoulême. Il est alors envoyé dans un peloton d’élèves officiers de réserve à Saint-Maixent. Passé sous-officier il est sur la Loire, près de Saumur au moment de la débâcle. Il se replie non sans combattre et se retrouve à Bordeaux avec son unité. Le général de Lattre intègre son régiment dans sa division.
Philippe Tarneaud décide de rester dans l’armée d’armistice comme sous-officier de chasseurs à pied. D’abord affecté à Grenoble, il rejoint à Limoges le 16e bataillon de chasseurs, composé d’Alsaciens-Lorrains. Bien que Limoges soit situé jusqu’en novembre 1942 en zone libre, ceux-ci sont nombreux à déserter et passer en Afrique du Nord pour échapper aux Allemands. Il reçoit la Croix de Guerre.

Démobilisé, fin 1941, il pense gagner l’Afrique du Nord. Il rencontre alors le capitaine Sarton du Jonchay, qui est à la tête d’un réseau franco-polonais.

Philippe Tarneaud rejoint la Résistance au début de 1942 et entre dans la banque familiale tout en reprenant à Limoges ses études de droit. Après l’envahissement de la zone libre en novembre 1942, il entre en contact avec l’ingénieur Duché, gendre du sénateur-maire de Limoges Léon Bétoulle destitué par Vichy. Il est le chef du réseau NAP (noyautage des administrations publiques). Ce service, monté en septembre 1942 dans la zone Sud par Claude Bourdet, membre du mouvement Combat, doit s'intégrer dans la future organisation unie de la Résistance. Le NAP est chargé de détecter dans les préfectures, la police, le ravitaillement, l'électricité, les PTT et la SNCF, les sympathisants de la Résistance susceptibles de travailler pour le Service du renseignement, d'exécuter des sabotages, de rendre des services de tous ordres à la Résistance (faux papiers, etc.) afin de préparer l'insurrection et la prise de pouvoir administrative lors de la Libération.

Philippe Tarneaud est chargé de missions de renseignement : prendre contact avec des jeunes gens de son âge, susceptibles de rejoindre la Résistance et enquêter sur les entreprises industrielles travaillant avec les Allemands. Il a l'occasion de rencontrer plusieurs fois Georges Guingouin, le célèbre chef des maquis limousins, et contribue à le soustraire à la recherche ennemie. Il héberge dans son appartement des chefs de la Résistance. Il recevra à ce titre la Médaille de la Résistance. Il est arrêté par la police allemande et, à la suite d’une intervention d’un industriel, libéré en octobre 1943 après deux mois de prison. Il reprend ses activités à la banque où il apprend son métier, il se marie et continue ses activités clandestines. Arrêté par la Gestapo au début de 1944, il est à nouveau libéré. Convoqué pour le STO, il se rend à Paris où il est hébergé par son beau-père. Le réseau NAP lui trouve un emploi d’ouvrier chez Gnome et Rhône, le célèbre constructeur de moteurs d’avion. Bientôt, il rejoint sa femme et sa fille près de Jarnac où il est terrassier sur la base aérienne de Cognac, grâce à l’appui du sous-préfet vichyste. Après le bombardement de la base, il gagne Angoulême où il est hébergé par le colonel de Saint-Sernin. Regagnant Limoges en vélo, il est arrêté par des résistants, puis par des FTP où il retrouve le fils d’un métayer d’une propriété familiale. Il rentre à Limoges peu avant la libération de la ville le 21 août 1944.

Lors de la violente épuration qui suivit à Limoges, où son action de résistant est désormais connue, il joue un rôle important pour apaiser les esprits et sauver quelques vies. En mai 1945, il est au conseil municipal de Limoges et élu en 1947 sur la liste conduite par Léon Bétoulle, l’ancien maire destitué par Vichy. Après cette expérience, il est élu et réélu maire de la commune de Verneuil-sur-Vienne, où il est né, il s’y fait construire une maison et y habite avec sa famille.

La guerre terminée, Philippe Tarneaud retourne dans la banque familiale auprès de son père Adrien, le président, et de son frère aîné, Frédéric, qui, depuis déjà plusieurs années, s’est affirmé comme le principal dirigeant. Quand leur père prend sa retraite en 1952, Frédéric lui succède prenant en charge la gestion et la stratégie de la banque, tandis que Philippe est chargé du secteur commercial où son passé de résistant lui ouvre bien des portes. Les deux frères et leurs collaborateurs font de la Banque une des plus prospères banques régionales françaises, dont il est intéressant pour notre Bulletin de faire un bref historique.

Créée en 1809 par un négociant limougeaud, Jean-Baptiste Tarneaud (1757-1819), secondé par son frère Nicolas, la Banque Tarneaud fut la première maison de banque de Limoges et l'une des plus anciennes de France. Jusqu'en 1849, il exerça son métier avec une rigueur qui établit la réputation de la maison auprès d’une clientèle de négociants, commerçants, propriétaires terriens et rentiers.

Firmin (1809-1884), le fils de Jean-Baptiste, administrateur de la banque, prend alors les rênes de la maison assisté de son frère Mathieu. Dirigeant éclairé et reconnu. Très au fait de l'industrialisation alors nouvelle sous le Second-Empire, il accompagne l’essor de l’industrie de la porcelaine (Maisons Tharaud, Vogt, Farge), ainsi que des distilleries telles Bardinet. En 1884, son fils Frédéric (1850-1946) lui succède. La banque Tarneaud joue un rôle grandissant dans l’essor de l’économie limousine à la Belle-Époque. Elle est présente dans tous les secteurs, notamment la porcelaine, Théodore Haviland et Charles Field Haviland, Bernardaud, Laporte, la maison de cognac Dubouché [devenu Bisquit], les imprimeries comme Lavauzelle, les manufactures de chaussures dont Weston. Pendant la guerre de 1914-1918, Frédéric est membre du Comité de l’or, du Comité des emprunts, il est censeur de la Banque de France.

Son fils, Adrien (1884-1963), devenu associé de son père dès 1911, poursuit l'action de celui-ci avec la même rigueur et la même confiance de ses clients à une époque durement marquée par la crise des années 1930, seize manufactures de porcelaine ferment leur porte, et la Seconde Guerre mondiale.

Pendant les trente glorieuses, la banque Tarneaud connaît un nouvel essor. Elle étend son réseau par création ou achat de petites banques locales en Haute-Vienne, Creuse, Corrèze, Charente et Dordogne. En 1951, cette banque familiale ouvre son capital à la Banque de l’union parisienne qui était déjà entrée temporairement dans son capital (1919 - 1946).

Les frères Tarneaud, Frédéric et Philippe, fils d’Adrien, travaillent ensemble. Ils se succèdent tour à tour comme président, Frédéric de 1952 à 1977, Philippe de 1977 à 1983. La banque devient une société anonyme en 1955 tandis que la majorité du capital passe à la Banque de l’union parisienne-Compagnie française de crédit et de banque. En 1973, la Banque Tarneaud acquiert la Banque régionale périgourdine. Elle est nationalisée en 1982. On doit noter que Philippe Tarneaud est le seul président des trente-neuf banques alors nationalisées à être maintenu dans ses fonctions. En 1983, la Banque Tarneaud passe sous le contrôle du Crédit du Nord. Philippe Tarneaud ouvre une agence boulevard Franklin-Roosevelt à Paris. Il prend sa retraite à l’âge de soixante-cinq ans en 1983 et a été remplacé, quelques années plus tard, par son neveu Jean-Loup Tarneaud.

Philippe Tarneaud se retire alors à Paris et s’installe dans le VIe arrondissement 53 rue du Four. François Collet, nouveau maire du VIe arrondissement, le sollicite et lui confie le soin de redresser les finances des multiples associations qui dépendaient de la mairie et se trouvaient souvent en difficulté comme le Bureau d’aide sociale. C’est ainsi qu’il entre dans notre Société comme membre du conseil d’administration. Il assure la fonction de trésorier de 1989 à 2004 et en consolide les finances, ce qui donne une nouvelle impulsion à notre société et permet de développer son bulletin. Il siège au conseil d’administration jusqu’en 2008, mais reste sociétaire jusqu’à ses derniers jours. Il y forme avec Max Karkegi une équipe passionnée d’histoire, arpentant l’arrondissement à la découverte de lieux remarquables.

Grand et bel homme, Philippe Tarneaud était aussi un homme de terrain passionné par le contact humain qu’il avait facile. Courtois et érudit, il était passionné de musique classique, de littérature et d'histoire, et appréciait le roman historique. Grand chasseur et marcheur, il aimait la campagne limousine, il appréciait aussi le climat du Morbihan où sa seconde femme possédait une maison.

Bruno Delmas
Président de la Société historique du VIe arrondissement

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