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Petit journal du confinement - No 30

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30 01 2021

Ouvrières essentielles, les abeilles du jardin du Luxembourg

 

Le printemps, avec ses explosions de floraisons et ses promesses de récolte, est une période chère aux apiculteurs. Au jardin du Luxembourg, qui abrite un rucher école depuis 1856, la saison a été singulièrement magnifique cette année : un enchantement de fleurs et d’arbres majestueux fleurissait insolemment alors que chacun devait rester chez soi. La pureté du ciel contrastait avec la réalité si lourde. Les abeilles, elles, n’avaient cure du confinement, occupées à sortir de leur hivernage et à travailler sans relâche car la Nature souveraine n’attendrait pas. Il leur fallait construire les rayons de cire, élever les jeunes, butiner le nectar, rapporter le pollen, stocker le miel. Dans le temps arrêté, un mois, deux mois, suspendu entre les annonces quotidiennes et les dates martelées en mantra, le calendrier apicole a posé d’autres repères, bienvenus, bénéfiques. Au fil des jours, simplement.


Carnet de voyage immobile.


21 mars


Nous sommes deux à être autorisés à franchir la porte Vavin. 23 ruches à suivre, ça occupe. Les gardes nous font entrer et nous voilà dans ce jardin tant arpenté qui nous semble curieusement différent, un peu comme une terre inexplorée, un territoire ancien et nouveau à la fois. Le lieu nous est pourtant familier. Intervenants bénévoles de la SCA (Société centrale d’apiculture) et responsables des cours pratiques d’apiculture qui se déroulent dans ce rucher historique, nous sommes en terrain connu. Mais quel calme ! Pas de passants, pas de public, pas de klaxons têtus dans la rue d’Assas ni de voitures remontant la rue Guynemer. Les objets et signes de la vie “d’avant” - chaises, balançoires, bateaux miniatures, théâtre de Guignol - sont arrêtés, immobiles. La vie est là pourtant, qui tremble sous les arbres, dans les pelouses. Tout bouge, les feuillages, les branches, un oiseau ici, des abeilles là. Le rucher s’éveille, l’hiver est bien fini.


24 mars


Le passage de l’hiver au printemps se fait parfois en sourdine, on devine plus que l’on ne constate encore l’explosion de force qui accompagne la sève montante des plantes, les insectes qui s’animent.


Au rucher, aider les colonies à sortir de l'hivernage c’est enlever les partitions installées pour la saison froide, accompagner la progression de chaque ruche, repérer les situations singulières et passionnantes, intervenir (ou pas) avec une pointe de regret « Ah ! si les auditeurs pouvaient voir ce qu’on voit ! »


Il fait encore un peu frais mais grand beau. Nous installons de grandes planches sur des tréteaux pour travailler dehors à la préparation des cadres de cire, au beau milieu du rucher. Protégés par un masque sous le voile de nos tenues, nous gardons nos distances de sécurité, nos gestes barrières devenus une seconde nature. Le moment est délicieux de concentration et d’anticipation joyeuse. Sous un soleil éclatant et dans la paix du jardin nous préparons une centaine de cadres destinés à accompagner la progression exponentielle des populations. Certaines colonies ont pris de l’avance dans un élan de déconfinement (sic) irrépressible, les mâles sont déjà en grand nombre, la saison a bien démarré et on ne l’arrête plus. La puissance de la nature explose sans entraves.


4 avril


Il fait toujours aussi beau, et le thermomètre affiche quelques degrés de plus. L’enthousiasme nous gagne, et nous joignons l’esthétique à la pratique.

 

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Quelle que soit la saison, le rucher est toujours élégant, et les ruches sagement rangées en cercle ont fière allure, avec ces toits hexagonaux qui sont leur signature unique et reconnaissable dans le monde entier. Mais sortir de l’hiver sous des arbres qui abritent de nombreux oiseaux présente quelques inconvénients. Tout passe donc à la grande lessive aujourd'hui, des toits souillés aux tiroirs d’hivernage. La valve qui fuit au robinet laisse échapper des nappes d’eau, un oiseau se baigne dans la piscine ainsi offerte, les abeilles tracent leur vol dans le soleil oblique, le rucher a des airs paradisiaques.


Un peu plus loin, dans les aires de jeux, pas un cri, pas un rire. À côté des terrains de pétanque désertés, des dizaines de chaises savamment empilées forment une structure géométrique hypnotique. Ailleurs, un banc est en conversation avec des chaises esseulées.

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17 heures, c’est l’heure de quitter le jardin. La porte Vavin se referme sur nous, dans la rue on entendrait une mouche voler.


11 avril


Nos heures de travail sont accompagnées par le seul bourdonnement des abeilles et les chants des oiseaux, sonores et joyeux dans le silence spectaculaire de la ville. Les ruches se remplissent vite, les reines pondent et les butineuses sont à la tâche sans répit.


Être apiculteur, c’est observer les arbres, naturellement. Cette année, les marronniers si remarquables du jardin ont une floraison abondante et glorieuse, à l’instar de toute la nature en ce printemps inédit. Leurs branches lourdes sont pleines de promesses et les abeilles l’ont bien compris.
Les colonies ont un mois d’avance, nous posons les premières hausses.


12 avril, weekend de Pâques


Un mois s’est écoulé, quatre nouvelles semaines se profilent, une date est lancée, 11 mai ? on doute, on espère, les annonces se contredisent. Il fait toujours très beau.


Les cloches de Saint-Sulpice sonnent en une ronde de notes claires. Les enfumoirs font de jolies volutes qui montent et s’échappent à contre-jour dans la chaleur de midi. Un garde passe nous rendre visite, prudemment.

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Au rucher les hausses commencent à monter, nous préparons de nouveaux cadres et divisons les colonies les plus fortes pour qu’elles n’essaiment pas. Le jardin du Luxembourg bruisse, on entend frissonner les feuillages en un grand soupir chaud.


25 avril


Le rucher semble marquer une pause dans son développement, et ce malgré une météo exceptionnelle. Les abeilles choisissent de remplir à bloc leurs corps de ruches, négligeant pour l’instant les hausses installées. L’apiculteur propose, l’abeille dispose. Patience, donc.


Discrets, les jardiniers travaillent. La preuve ? Le parterre de fleurs autour de la statue Joies de la famille est un festival de couleurs époustouflantes.


17 heures. Avant de sortir, nous passons quelques minutes près de la porte Vavin, les yeux levés vers « l’arbre aux mouchoirs » dont les larges fleurs blanches, somptueuses et délicates, longues comme la paume de nos mains, ont constellé le sol. Une vraie récompense.


27 avril,


Après 41 jours sans une goutte d’eau....
Vive la pluie !


2 mai


Les abeilles continuent de défiler, lourdes de pollen. Malgré la météo un peu capricieuse, elles font un ballet ininterrompu entre les minuscules fleurs qui parsèment la pelouse voisine et les planches de vol où elles se posent. Festin garanti. On les retrouve sur la fontaine, elles cherchent l’eau.


8 mai, célébration de l’Armistice


La journée de travail au rucher est longue. Nous prenons un moment pour savourer un fruit, un morceau de pain, une grande rasade d’eau assis côte à côte. Nos yeux suivent les allées de platanes, s’accrochent à un arbre solitaire, repèrent un oiseau, l’hôtel à insectes, le verger qui pousse, lui aussi. La nature n’attend vraiment pas.


Dans les espaces dégagés aux intersections des allées se dessinent au sol des puzzles de lumière et d’ombre que pas un pied ne dérange, le soleil tape fort et la clarté rasante de l’hiver est oubliée. Les feuillages sont imposants, offrant une déclinaison généreuse de verts - du sombre au jaune et même au bleu.


Fin de journée au pavillon Davioud : quelques marches en pierre à descendre et nous goûtons la fraicheur assurée au sous-sol, débarrassés de nos combinaisons et gants.


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11 mai, on déconfine ?


Les signes ne trompent pas, le jardin se prépare pour les futurs visiteurs que l’on devine impatients. Les pelouses ont été tondues, sur le parterre une bâche protectrice annonce les jeunes plantations, de nouvelles splendeurs. Le Luxembourg est plein de surprises.


Le rucher s’enorgueillit de hausses prometteuses sur presque toutes ses colonies. Il s’est agrandi, augmenté d’une « nursery » temporaire. Les divisions des colonies très populeuses forment maintenant un deuxième cercle à l’intérieur du premier, voici la génération 2020, les divisions du confinement, les souveraines de la saison 2021, déjà.


Plus tard nous entendrons « ah ! les abeilles ont aimé le confinement ! » Nous acquiescerons. Aux interlocuteurs curieux, nous ajouterons qu’avec elles c’est toute la nature qui aura aimé ce printemps étonnant, dont nous retiendrons les 41 jours de soleil sans une goutte d’eau, puis l’arrivée de la pluie bienvenue, et les saints de glace...glacés... le vent qui pince, les colonies qui résistent à deux semaines très frisquettes.


On attend maintenant le tilleul, miellée royale des abeilles parisiennes.


Et les tilleuls arrivent.


En floraison majestueuse, sous le soleil revenu. L’air de Paris est embaumé de leur parfum mentholé, les butineuses ne perdent pas une minute, rapportent le nectar dans une activité quasi frénétique. Leur hâte est si grande que les pelotes de pollen qu’elles transportent finissent parfois sous la ruche, en un tapis jaune éclatant.


Les parcs et jardins restent fermés au public. Situation inchangée au rucher, deux apiculteurs seulement dans ce rucher-école que l’œil repère de loin d’ordinaire, arrêté par les nombreuses silhouettes blanches des intervenants et auditeurs de l’année. Chaque mercredi et samedi de la saison, les promeneurs reconnaissent les barrières protectrices et font un sage détour. Pas cette année. Nous continuons à travailler seuls dans l’espace sans barrières mais clos aux visiteurs.


21 mai - 23 mai, Ascension


Le nectar de tilleul rentre abondamment alors que la ponte des reines s’accélère. Certaines colonies gagnent un cadre de couvain supplémentaire (soit près de 8 000 abeilles) en 4 jours, l’heure est à l’expansion : Les ruches s’élèvent, hausse après hausse, dressant leurs toits bien au-dessus des buissons et barrières.


30 mai - 31 mai, Pentecôte. Le jardin est ouvert.


Le Luco a ouvert ses portes et nous, nous avons remis les barrières.


Joie des passants, sentiment de libération, rappel des consignes de sécurité à ceux qui les auraient oubliées et aimeraient passer outre, la voie de la liberté passe par la sécurité de chacun, discours souvent entendu, ces mois-ci.


Fonds sonore : on entend des rires, les coups de sifflet des gardiens, les cloches de Notre-Dame-des-Champs qui carillonnent.


Au rucher se joue un ballet bien réglé, en gestes répétés : enlever le toit hexagonal, ouvrir la ruche, prendre la mesure de la colonie, lui donner de la place, la diviser peut-être, refermer, remettre le toit. Les heures passent à grande vitesse, la journée est longue, le jardin ferme tard désormais. Nous travaillons sous les yeux du public maintenu à distance, non sans peine parfois. Les plus téméraires ont cependant vite compris que les abeilles, déconfinées par nature, avaient bien l’intention de garder jalousement leur territoire.

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4 et 5 juin


Journées de grand ménage. Une équipe (enfin) élargie entreprend un nettoyage général du rucher et de la miellerie, courette comprise. Tout le matériel est lavé à grande eau, revu. La récolte se profile, nous sommes prêts.


13 juin


Un appel des gardes : un essaim est parti se poser sur le petit conifère que tous les apiculteurs du rucher connaissent bien - une des destinations dédiées qu’affectionnent les voyageuses. Capturé sous l’œil des visiteurs (nous sommes vraiment redevenus visibles !) il rejoint la « nursery » bien occupée du deuxième cercle. Mais pas d’inquiétude, la crise du logement n’aura pas lieu. À cette époque la production ralentit déjà. Les grandes miellées sont passées.


27 juin, récolte


Samedi matin, huit heures. Les abeilles sont dynamiques, un orage violent a éclaté dans la nuit. Le jardin est lavé, silencieux. L’affaire est bien rodée, deux équipes, l’une au rucher, l’autre dans la miellerie du Pavillon Davioud, se partagent les tâches comme à l’accoutumée. Cette année, s’ajoute à notre souci permanent de sécurité du public celui de conserver les gestes barrières et les masques sur nos visages. Qu’à cela ne tienne ! La journée n’en sera pas moins belle.

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Les conversations s’animent autour des maturateurs remplis d’un miel parfumé. Histoires d’apiculteurs, rires. Comme toujours. Le printemps 2020 est tout juste derrière nous et pourtant nous commençons à évoquer l’automne et l’hivernage qui suivra. Le calendrier apicole impose ses repères, la nature fait loi et c’est bien ainsi. Malgré le sentiment que nous avons d’avoir vécu une saison inouïe dont nous partageons les souvenirs émouvants, quelque chose en nous pense déjà au printemps prochain.

 

 

Marie-Laure Legroux et Pierre Tchelitcheff

Responsables des cours pratiques
au rucher du jardin du Luxembourg, SCA

 

1er juillet

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