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SOCIETE HISTORIQUE DU VIe ARRONDISSEMENT

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Petit journal du confinement n°2

PETIT JOURNAL DU CONFINEMENT
DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DU VIE ARRONDISSEMENT
N° 2

Le 5 mai 2020

Quand le confinement vire au casse-tête... chinois

Confiné. Voilà un substantif qui n'entrait guère dans mon vocabulaire avant qu'un organisme vivant microscopique ne le hisse au rang de vedette. Qu'il soit employé en mode transitif ou pronominal, il convient. Ledit organisme vivant microscopique vous cloue-t-il au lit, il vous confine dans votre chambre. Vous accorde-t-il quelque répit, on vous enjoint tout autant de vous confiner dans votre logis. Vous n'y échappez que pour de courtes escapades gâchées par un sentiment diffus de transgression, voire de culpabilité. Bref, vous passez vos journées cloîtré chez vous.

Alors évidemment vous tournez en rond et, comme il faut bien occuper l'esprit, vous portez le regard sur ce qui vous entoure et que vous connaissez, comme personne. Que vous connaissez ou que vous croyez connaître ? Jugez-en plutôt par ce que m'est arrivé.

Il y a plus malheureux que moi, j'en conviens. Mon salon est confortable, riche de deux bibliothèques de style anglais remplies de livres. Des Pléiade, comme il se doit ; de la bonne littérature contemporaine, prix annuels, succès de librairie, auteurs fétiches (Modiano, Échenoz et, pour la génération précédente, Déon, Tournier, et l'incontournable Jean d'O), livres d'histoire et, chacun a ses faiblesses, polars. Ils se sont accumulés au fil du temps - en ce qui me concerne, cela commence à faire beaucoup - et dans un ordre dont la désinvolture s'aggrava au fur et à mesure que le nombre augmentait, au point qu'actuellement j'en suis à compléter les rangées verticales par des strates horizontales pour occuper l'espace. Du grand n'importe quoi, mais auquel je me suis accoutumé et qui me gênait d'autant moins qu'en étant l'auteur je retrouvais mes petits chaque fois que le besoin apparaissait.

Seulement voilà, quelque chose a changé. Avant, je cherchais un livre dans un but précis, je savais où le trouver, je le trouvais, terminé. Maintenant, je commence à me poser des questions. Que choisir ? Une pincée de Mémoires d'Outre-Tombe, peut-être ? Un Zola moins connu que je n'ai pas encore ouvert, pourquoi pas La Débâcle, cent-cinquantenaire oblige ? À moins que La Peste ... J'ouvre les vitrines, je pioche, je feuillette, je remets, je furète à côté. Du coup je vois. Je vois ce que l'habitude avait fini par rendre invisible à mes yeux. Je vois l'incohérence du rangement. Du rangement, car il serait indécent de parler de classement. Le classement suppose un ordre, et ce qui s'offre à mon regard n'est que désordre. Alors, c'est décidé. Quand je serai rassasié des Contemplations (oui, j'ai finalement opté pour le grand Victor et tiré de l'étagère les deux volumes de la jolie collection Lemerre héritée de mon père et reliée en joli maroquin de couleur bleue), je m'attellerai à ce qui pourrait bien s'apparenter à un treizième travail d'Hercule.

D'autant plus qu'il va falloir définir une méthode, sinon, à quoi bon changer. Or je n'aime pas du tout ce genre de dilemme. C'est la résolution de la quadrature du cercle que je m'impose à moi-même qui suis tout sauf un matheux. Je cours à la catastrophe. Jugez plutôt.

Posons l'équation. Il me faut combiner le linéaire des rayonnages, leur espacement vertical, inégal, le format, évidemment des plus divers, des livres, la couleur de leur couverture, etc. Cela, ce sont les données physiques. Mais il me faut y associer des considérations plus abstraites. Je peux rapprocher les ouvrages par genre, roman, histoire, essai, poésie, polar, art. Je peux opter pour un classement par auteur, mais dans ce cas, quel ordre choisir, chronologique ou alphabétique ? Et les collections, qui rassemblent à peu près tous ces critères sous leurs couvertures uniformes ?

Me voilà fatigué rien que d'avoir posé l'équation. Après tout, pourquoi me fatiguer quand rien ne m'y oblige ? Sans compter l'effort physique que représentera la sortie de tous ces livres de leur habitacle actuel, l'époussetage, et de nouveau le rangement qui, j'en suis déjà persuadé, ne me donnera pas satisfaction. D'ailleurs il se fait bien tard ce soir pour prendre une décision. La nuit, dit-on, porte conseil... Espérons qu'elle ne m'entraîne pas dans une sarabande cauchemardesque d'in-folio sans couverture ou de pages sans caractères.

Jean-Pierre Duquesne

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